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Un bien joli récit par Camille Colliot

Illustration Camille Colliot

La naissance de mon fils n’a rien eu d’un drame, d’un miracle, d’une comédie.                                                                 Ce fut une « belle naissance naturelle » comme a dit Stéphanie, la sage-femme présente dans les dernières heures. Et pourtant cette naissance restera à jamais une expérience incroyable, formidable, violente, dure, gravée dans ma mémoire.

Je ne savais pas comment imaginer la naissance de mon enfant mais je savais quelles peurs j’avais. J’ai fait une liste : peur d’une souffrance intenable, d’une opération d’urgence, la peur de mourir ou que mon enfant à naître meurt à peine sorti de mon corps, la peur aussi de la violence du corps médical. Une fois la liste de mes peurs établie, j’ai essayé de trouver des moyens de les diminuer.

Étrangement, la biologie est venue à mon secours ! J’ai commencé par regarder des images d’anatomie, puis je me suis intéressée aux phénomènes biologiques qui ont lieu pendant l’accouchement : le durcissement de l’utérus qui explique les contractions et les douleurs, la pression de la tête de l’enfant sur le col qui favorise la dilatation, la contraction qui est en fait un travail musculaire qui consomme de l’oxygène et produit du gaz carbonique, d’où la nécessité de bien respirer etc. J’ai essayé de visualiser la descente de mon enfant à travers mon corps, de comprendre quels muscles entraient en jeu, quels besoins physiques, physiologiques naissaient des différentes étapes. Cela m’a apporté l’assurance que mon corps était fichtrement bien fait, que la nature avait décidément pensé à tout !

Un autre élément primordial fut le choix du lieu où j’accoucherais. Nous avons choisi, mon compagnon et moi, une clinique de taille moyenne, non loin de chez nous. Nous sommes allés à une soirée d’informations à laquelle nous nous sommes tout de suite sentis bien accueillis. Les visages étaient souriants, le personnel, médecin et sage-femme, attentif, rassurant, il y a même eu des blagues ! Nous avons ensuite fait un tour des cinq salles d’accouchement et des chambres. Il n’y avait pas cette odeur que j’associe systématiquement aux hôpitaux et inconsciemment à la mort, les chambres étaient faites pour accueillir la mère, l’enfant mais aussi le père. Les salles d’accouchement étaient colorées, le personnel médical nous a dit qu’on pouvait apporter notre musique, de la nourriture, des boissons tout ce dont nous avions besoin pour nous sentir comme à la maison. Notre décision a été guidée par des aspects pratiques mais surtout par cette intuition que nous serions, ici, entre de bonnes mains.

Pour le reste, j’ai continué de faire confiance à mon intuition et à ma connaissance de moi-même.

Par exemple j’adore l’eau, c’est mon élément depuis que je suis née. Quand j’ai vu cette immense baignoire dans une salle d’accouchement, je me suis dit : « Parfait ! Je pourrai patauger pendant des heures, l’eau chaude diminuera mes douleurs et bébé adore les cours d’aquagym donc il se sentira peut-être encore mieux si je suis dans un bain ! ». La musique a toujours eu une place essentielle dans ma vie. Je me suis fait une playlist intitulée Bébé. Je ne suis pas une grande sportive et les cours de yoga pour femmes enceintes ne me disaient vraiment rien. J’ai pris des cours d’aquagym pour travailler en douceur ma respiration. J’ai réfléchi à ma propre naissance, demandé à ma mère de m’en parler. Je me suis fait répéter un nombre de fois incalculable : « Camille, vous avez le droit de dire que vous n’êtes pas d’accord, vous avez le droit de dire que vous ne voulez pas quelque chose, vous avez le droit d’avoir peur, de douter, vous êtes forte, vous allez y arriver. » J’ai dit à mon compagnon quelles étaient mes peurs, il m’a assurée que si je n’étais pas en état, il mettrait des limites, il dirait « non » pour moi, sur un simple signe de ma part, il me protègerait.

Je me suis connectée en pensée à mon bébé, je me le suis représenté dans sa bulle chaude et douce, entouré d’une lumière dorée chaleureuse, je lui ai dit qu’on formait une sacrée équipe tous les deux et qu’on allait « rocker » cette naissance.

La naissance a duré plus de trois jours, si je compte les toutes premières contractions avant celles dites « de travail ». Je suis entrée à la clinique le mercredi à 14 heures, mon fils est né le jeudi à 4h20 du matin. Je n’ai pas vu le temps passer et en même temps, je me souviens de chaque seconde.

La sage-femme qui nous a accueillis, nous a proposé d’aller nous promener pour aider l’ouverture du col, pas facile d’être dans la rue et de gérer des contractions. Nous sommes revenus au bout d’une bonne heure. Nous nous sommes allongés dans une chambre de la clinique, au calme pour reprendre des forces. Le travail a commencé, je me suis plongée dans la baignoire, mon compagnon faisait couler de l’eau sur mon dos. J’ai écouté des chansons africaines mais pas une seule chanson de ma playlist Bébé. J’ai chanté des sons graves sur la lettre « O » pour accompagner les contractions. J’ai eu envie de claquer la sage-femme quand elle m’a dit, après une contraction particulièrement douloureuse : « Et encore une de passée ! » et mon compagnon en écho : « Et encore une de passée ma chérie ». Ma réponse a filé : « Si tu me dis encore une fois, « et encore une de passée », je te défonce ! », mon compagnon livide, la sage-femme silencieuse, je peux de nouveau me concentrer.

Après des heures dans la baignoire, j’en suis sortie sur les conseils de la sage-femme qui me voyait divaguer, la chaleur de l’eau ralentissant ma circulation sanguine. Et puis vient le moment où je suis épuisée, le col est inflammé, la sage-femme me demande si je veux une péridurale. Je suis à plus de 8cm* : « c’est presque la fin, tu peux le faire ! » me dit une voix dans ma tête, « j’en peux plus » me dit mon corps, « j’ai besoin d’aide ». Je vois mon compagnon, épuisé lui aussi, le regard inquiet, je hoche la tête et après une contraction bien sentie : « Oui s’il vous plaît, la péridurale ». Trois quarts d’heure après l’anesthésiste et son assistant sont là, la péridurale est posée, mon compagnon et moi dormons une petite heure.

Je somnole plus que je ne dors, je suis tout à fait réveillée par des vagues, des roulements d’une puissance incroyable ! Ҫa me remue tout le corps, je suis éberluée, époustouflée, apeurée de ressentir une telle force en moi, une force qui travaille d’elle-même, je ne ressens pas la douleur mais je ressens cette force, incroyable, inimaginable qui aide mon enfant à naître. Je suis assise sur le fauteuil gynécologique, je dois pousser, je n’ai pas vraiment d’appui, j’ai l’impression de pousser pour rien, et ces roulements incessants, je suis épuisée, ma vue est floue mais tous mes sens sont en alerte.

« Je vois la tête ! » crie la sage-femme, « Vous voulez la toucher ? », ma réponse éberluée : « Je peux ? », la sage-femme rit : « Bah c’est votre enfant non ? ». Je plonge ma main entre mes jambes et là je sens, des cheveux ! Mon enfant a des cheveux, une toute petite surface chaude, humide ! J’explose de rire : « Oh mon dieu !! », je suis euphorique, « Poussez ! » crie la sage-femme, j’y mets toute mon euphorie, ma volonté, mon courage, je sens la déchirure en bas, je vois la sage-femme et la médecin échanger un regard, elles font une manipulation avec mes jambes et tout à coup, je sens le corps de mon enfant glisser. J’entends mon enfant crier, je tends les bras : « Mon bébé ! », la sage- femme : « Un beau garҫon en pleine forme ! », j’ai mon fils dans les bras, je me tourne euphorique vers mon compagnon : « Bah pouquoi tu pleures ?! », entre deux sanglots, il arrive à articuler : « Il est tellement beau ! ».

* j’ai donné naissance en Allemagne, contrairement à la France, on peut décider jusqu’au dernier moment (médicalement défini selon les risques pour l’enfant) de demander ou non la péridurale.

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